Elizabeth R. Harker
Le samedi, c'est moitié prix !
Messages : 74 Date d'inscription : 22/10/2010 Localisation : dorset street.
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Elizabeth R. Harker
Le samedi, c'est moitié prix !
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| Sujet: Re: elizabeth ▬ ah ! seigneur ! donnez moi la force et le courage de contempler mon corps et mon coeur sans dégout ! Sam 23 Oct - 2:15 | |
| « TA CONTRE-MORALE. »
« Pour sûr, la Betty elle a le regard dur ce soir, c'est mauvais signe, c'est moi qui vous le dit. » Elle a l'habitude, elles font comme si elle n'était pas là maintenant. La voix haut perchée de Lucy s'évanouit dans le brouillard, à peine ponctuée par les ricanements nerveux de ses amies d'infortune. Betty. Elle a horreur de ce surnom ridicule et pourtant il lui serait encore plus insupportable d'entendre son véritable prénom dans leur bouche infâme. Pour les gentlemen libidineux, pour le tenancier du pub et pour la famille de catins qu'on lui impose : Betty. Elles se serrent les unes contre les autres, comme si le rempart de leur corps malades allait chasser un démon imaginaire. Le silence les effraie, alors elles répètent inlassablement les mêmes choses. Nous sommes toutes dans le même bateau. La certitude de périr en grand nombre les rassure. Etre une victime, Elizabeth en mourrait. Depuis la fenêtre crasseuse de la chambre, elle observe la pire rue de Londres aux dires des rupins. Dorset Street, son terrain de chasse favori. Ce type à la moustache mal taillée ? Le vieillard qui traine sa carcasse sur les pavés humides ? Ou peut-être la silhouette dans le fiacre qui s'éloigne. Elle esquisse un léger sourire, comme les enfants, elle joue à faire comme si. Comme si, en l'occurrence, elle avait le choix. Il lui tarde à la fille de joie, et l'ironie est à son comble, de retrouver le froid saisissant au dehors, celui qui rougit sa poitrine de petite fille et qui calme les ardeurs de la vermine. Elles ne veulent pas se sortir ce soir. L'Eventreur. Quitte à crever la dalle. Plus tard dans la nuit, elles tenteront une nouvelle fois de la dissuader mollement de quitter la chambre et puis quand elle aura disparu, elles maudiront cette enfant de putain qui s'imagine qu'on fait de la mort un client.
Les pans souillés de sa robe flirtent avec le pavé. Elle est supposée les aguicher tous ces pauvres hères au teint cireux, leur faire croire qu'elle mérite la dernière pièce qu'ils conservent avidement dans leur poche trouée. Seulement tout en elle hurle son dégout. De ses pupilles de félin jusqu'à sa silhouette étrangère au désir. La plupart des pauvres types désoeuvrés s'effraie de cette créature démoniaque et les pervers de la pire espèce jouissent avant même de l'avoir touchée. Et l'oeuvre ultime s'en voit facilitée. Elle recouvre de son châle élimé sa gorge découverte. Le pourpre s'accorde si bien à sa peau diaphane. Il devrait y penser ce foutu Jack. Dorset la putride l'accueille comme l'enfant prodige et fait étalage de ses immondices, toutes venues l'acclamer. Le vieillard imbibé d'alcool s'accroche désespérément au réverbère et dans la nuit, son souffle reste figé. Une fille attend juste en face. Le client, la pneumonie, la délivrance. Elle a un visage résolu comme on en trouve tant dans la Londres des misérables. Déjà vu. Elizabeth n'attend pas, elle sait où elle va, quel immonde pourceau elle s'apprête à rencontrer et comment cela va se terminer. Elle marche le coeur tranquille. Pour rien au monde elle n'échangerait son chaos calme.
Le faire attendre c'est l'insulter un peu, alors elle ne presse pas le pas et s'accorde même une rêverie inhabituelle. Si elle était l'une d'entre elles, si elle allait s'abandonner en rêve dans les bras d'un gentleman riche, puissant et terriblement amoureux d'elle. Un type à la beauté surnaturelle qui la couvrirait de perles, qui oublierait volontiers son passé de stupre et en ferait une lady. Ce serait... Elle essaye de toutes ses forces, mais l'idylle fantasmée s'évanouit aussi vite qu'elle est apparue. Chimères bradées pour des filles bon marché. L'amour, s'il a existé en des temps immémoriaux, est aujourd'hui révolu. Seule son ombre imaginaire s'empare des coeurs pour mieux les anéantir. Je ne me laisserai pas.. anéantir. Finalement elle se dépêche. Et s'il était parti ? Droite, gauche, la petite cour. L'enfant se précipite dans la gueule du loup. Il est là. L'obscurité le déguise mais révèle sa silhouette drapée dans une cape hors de prix. Il lui fait signe d'approcher en tendant une main gantée de blanc. Les hommes qui la désirent sont les plus riches et les plus compliqués aussi. La mise en scène est un peu grotesque mais le jeu en vaut la chandelle. « Là.. N'ai pas peur. »Tu aimerais bien. Les yeux rivés au sol, elle avance lentement, docile et laisse tomber son châle. Elle joue machinalement avec le premier bouton de son corsage. Il est vraiment là à présent. Il effleure son épaule dénudée. « C'est vrai ce qu'on dit, tu n'es pas une putain comme les autres. » Ne pas frémir au contact de ses doigts sur ma gorge. Et puis tout à coup, il la plaque violemment contre le mur, lui arrachant une grimace de douleur. « Pourtant crois-moi, tu feras la même chose que tes copines. » Elle détourne la tête et ferme les yeux. « Ca ne vous fait rien si je chante ? » Il n'écoute déjà plus. Ses mains s'agrippent fiévreusement à sa nuque. « Solomon Grundy, born on a monday, christened on tuesday.. » Il cherche à l'embrasser, elle se dégage mollement. Sensibleries. « ..married on wednesday, took ill on thursday.. » Il en a fini avec les convenances, sa robe, il l'arracherait presque. Il se presse contre elle maladroitement, lui tire les cheveux. Elle effleure le tissu de sa robe, ça y est presque. « .. grew worse on friday.. » Il est seul avec ses envies, ses yeux se révulsent. Maintenant. De son corsage elle extirpe une dague dans laquelle l'homme contemple sa solitude l'espace d'un éclair avant que la lame soigneusement affûtée ne vienne trancher sa gorge offerte. « .. died on sunday.. » Il s'agrippe à sa robe dans le silence de son agonie, sous un regard luisant. « .. buried on sunday .. » Il a souillé son visage avec un sang trop épais. Un dernier hoquet et puis s'en va. Elizabeth repousse le corps sans vie du bout du pied. Elle ramasse le châle, essuie tant bien mal ses joues littéralement empourprées, puis la complice de son forfait qu'elle replace soigneusement entre ses seins et s'enveloppe d'un bleu presque chaste. Trois florins pour sa peine. L'enfant se précipite dans la gueule du loup. Mais qui est l'enfant ? Qui est le loup ? Il est temps de rentrer à présent, les rues de Londres ne sont pas sures la nuit. « .. This is the end of Solomon Grundy. » | |
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